vendredi 4 septembre 2015

Un UTMB...

Col de la Seigne 2502 m, il est 4h21, j'ai un petit 1/4 d'heure d'avance sur mes prévisions mais je sais que la suite va être dure, très dure. Je suis les bases d'un « petit 33h » mais ça ne va pas durer.
Flash back, la veille 18h le départ de l'UTMB est donné au centre de Chamonix. C'est un mélange contradictoire, presque agaçant, du meilleur et du moins bon. On ne peut pas courir tellement il y a de monde, alors oui, on aura le temps de courir mais quand même on y est, on a envie d'avancer ! Et puis le meilleur, cette foule, cette énergie, on est des gladiateurs, des supers héros, on est porté. C'est fort, ça prend aux tripes, y a une vrais émotion.

♫ Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne... ♫














Les premiers km se déroulent sans difficultés. Le soleil disparaît et les lumières du couchant sur Bionassay et les Dômes de Miage nous accompagnent. Ascension du col de Voza, puis première descente, j'ai déjà mal aux pieds et je « sens » mes cuisses. Pour l'instant il n'y a pas de problèmes mais ce n'est pas bon signe... Saint-Gervais, montée  vers Notre Dame de la Gorge, il y a du monde, toujours du monde, c'est incroyable. Il fait maintenant nuit, en me retournant dans l'ascension du col du Bonhomme je vois le serpent de lumière s'étendre jusque dans la vallée. La descente jusqu'aux Chapieux se déroule bien (lire assez rapide) mais avec toujours cet arrière goût de « c'est pas ça ». Déjà 6h de route et 50 km de fait. La longue ascension du col de la Seigne se fait sous un superbe clair de Lune. On distingue l'aiguille des Glaciers dont le sommet rocheux se détache sur le blanc du glacier. Descendant le col et remontant en face au col du Bonhomme toujours le long serpent de lumière qui traverse la montagne sans discontinuer.

J'arrive au col. Il est 4h21. Je découvre l'autre versant, sur le papier une légère descente et une légère remontée. Je sens de suite que ça va être compliqué. La remontée n'est pas simple, du gros cailloux instable, difficile d'aller vite, puis je dois m'arrêter pour prendre un gel, et quelques minutes après je m'arrête à nouveau, cette fois je mange une barre de céréales. Je passe le col puis attaque la descente. Toujours ces gros cailloux instables, je n'arrive pas à avancer, même quand le terrain devient meilleurs je ne relance plus. Maintenant j'ai franchement mal aux pieds, j'arrive au lac Combal en étant dans le dur, physiquement, mais aussi moralement. Cette partie que je pensai boucler en 1 h (optimiste), je la parcours en 1h40 et surtout dans la souffrance. Je prends mon temps au ravitaillement du lac Combal avant de repartir vers l'arrête du mont Favre. Je suis bien dans la montée que je fais en 35 min (470 m, hé, hé). Au sommet je m'arrête, fais des photos. La vue sur le versant italien du Mont Blanc, la Noire de Peuterey est à couper le souffle.


Le petit bonheur ne dure pas longtemps. La descente sur Courmayeur est un long calvaire, maintenant j'ai des courbatures dans les cuisses en plus des douleurs aux pieds. Je me fais doubler à droite, à gauche, j'ai même cru qu'un mec allait asseyer de me passer à saute mouton (😁). C'est la claque. J'ai un gros coup de mou. J'avais envie d'une course, d'un chrono, de plaisir, et là je suis comme un con et j'ai mal. Juste mal. Je descends au train jusqu'à Courmayeur. J'ai le moral dans les chaussettes. Karine m'attend, me rebooste. Je fais une pause d'1h45 me disant qu'en récupérant bien je pourrai encore accrocher les 35h (putain une semaine). 


petit somme 20 minutes chrono

le radeau de la méduse (je sais celle-ci aussi
je la fais à chaque foi, mais c'est facile !)
La montée au dessus de Courmayeur est longue et raide (y paraît qui y en a qui aiment ça). Sous le cagnard ça monte calmement (la vitesse, pas la pente), arrivé au refuge Bertone on a le droit à un nouveau point de vu incroyable sur le versant sud du Mont Blanc. Nouvelles photos.

La traversée vallonée du refuge Bertone au refuge Bonatti se passe bien et à un rythme correct. Puis dans la descente suivante c'est de nouveau une grosse galère. J'ai jamais (rarement ?) eu mal comme ça. Je suis à l'arrêt. L'idée de poser le dossard me vient à l'esprit. C'est des bouffées d'émotions, ça part du ventre, ça prend la poitrine puis ça monte à la tête... J'en avais envie depuis longtemps, je voulais le faire et le faire bien ce tour du Mont Blanc, pas comme ça. J'arrive défait à Arnuva. Karine est là, me remonte le moral, je suis dans les temps, largement, j'avance pas si mal... Depuis qu'on est en Italie on est coupé des réseaux sociaux mais je sais qu'il y a du soutient et il y a les encouragements d'amis. Je me pause un moment dans l'herbe, j'enlève les chaussures, soigne un peu mes pieds.

arrivée cuit à Arnuva







pause et petits petons à l'air












Cette pause c'est un tournant de la course, je fais le deuil de mes envies, de mon chrono, c'est puéril mais c'était important pour moi. J'accepte la réalité de mon état et je passe en mode « finisher ». 

Je repars donc vers le Grand Col Ferret avec un nouvel état d'esprit. Aller au bout, profiter de ces paysages, de ce voyage incroyable. La montée se fait à un rythme correct puis au miracle (et merci ibuprofène) la descente se passe bien, je peux courir sur une bonne partie. J'arrive à la Fouly à 18h33 et me pose une 40aine de minutes, le temps de me refaire un peu. Il y a toujours du monde et des encouragements dans le village mais aussi dans la montagne. 
La partie suivante jusqu'à Champex n'est pas passionnante un long faux plats descendant puis une montée en forêt où l'on croit arriver à chaque virage. Enfin, je débouche en bas du village, je demande à un bénévole si le ravitaillement est loin. J'ai le droit à un « c'est à 6 minutes » avec l'accent. 6 minutes plus tard je suis au ravito, la précision Suisse...  40 minutes de pause, des pâtes excellentes, pour la première fois j'arrive à bien manger. Je part vers la crête de Bovine, pas très réputée, c'est pourtant un passage pas facile du tout de cet UTMB. Ascension dans les bois puis dans de gros rochers, je connais bien ce coin et j'y ai quelques bon souvenirs. Malgré l'austérité du lieu j'y suis bien :) Du sommet vers 1h du matin, la vue sur la ville de Martini en Suisse est superbe. On voit les lumières près de 2000 m plus bas, on a juste une chance incroyable d'être là. Arrivée à Trient vers 2h du matin. Karine m'attend pour la dernière fois avant l'arrivée. Je voulais dormir 20' mais vu le bruit dans le ravitaillement c'est pas possible.


passage psychédélique à Trient
tentative de somme foirée pour cause de
fête et zique à fond à Trient













Je vais chez les kinés, me fais masser (une première en course pour moi). Après une grosse heure de pause je repars pour l'avant dernière ascension de l'UTMB. Je monte tranquillement (mais sans être capable d'accélérer) vers Catogne puis je reprends ma galère dans la longue descente sur Valorcine. Chaque pas est choc dont l'onde martyrise la cuisse, très dur de courir. La descente n'en finie pas. Enfin, retour en France !
Dernière ascension de l'UTMB, la « fameuse » montée de tête au vent. D'abord quelques km de faux plat montant puis au col des Montets c'est le début « du raide ». Je pars vite et me met en tête de passer cette difficulté en moins d'1h. Je souffle, j'enchaîne les virages, je double. 53 min plus tard je coupe mon effort au niveau de l'épaule où se trouve la tente des secours (sic). La tête au vent est encore loin mais le dénivelé est bouclé et je me refait doubler quelque peu. Drôle d'idée que cette accélération. Je boucle cette antépénultième (j'adore ce mot) étape sourire au lèvre avec la Flégère au loin et le Mont Blanc en face de moi. Passage au dernier ravito, sms, téléphone, photos, même un tweet. Je me déconcentre un peu et savoure déjà un peu la future « victoire ».











La dernière longue descente sur Chamonix se fait non sans mal, incapable de courir sur la première moitié, puis c'est les derniers mètres dans Cham.
Beaucoup se mettent à courir poussés par le public, je marche, je charie un gars  qui me double « do you want to sprint », il est bien emmerdé le pauvre, puis je le laisse filer. Je savoure. Je passe la ligne... 

crédit photo, William Guillot

Pour la première fois en course j'ai failli poser le dossard. Cette course pendant un temps avait perdue son sens car ce n'était plus celle que je voulais. Me faire « mal » dans l'effort, avoir les poumons, les jambes qui brûlent le temps de l'accélération, oui. Mais passer des heures à 3km/h en ne pouvant pas aller plus vite parce que j'avais mal aux pieds et aux cuisses je n'avais pas signé pour ça. Puis les encouragements m'ont permis d'avancer, de ne pas arrêter, de me rappeler tous les entraînements, de voir que « j'avais le temps ». J'ai repris conscience de la chance que j'avais de faire cette course, d'être au milieu de ces paysages, de baigner dans cette foule, cette énergie et d'être capable de la finir. Et heureusement, je ne me suis pas arrêté, parce que ben voilà, je crois que c'est une des plus belles courses du monde...

ps : je vous la fait à chaque fois mais putain 41h c'est long
ps2 : grosse pensée pour ma petite sœur. Je sais que ça t'aurais plu. Tu me manques...

Chris, 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire